dimanche 1 mai 2016

« Proposition d’un cadre théorique à l’étude de la succession dans les entreprises familiales »

Par Crispin ENAGOGO AGADUSAMESO


Résumé :
Les recherches sur la succession en entreprises familiales ne cessent de foisonner au point qu’il devient opportun d’en fixer quelques repères pour les conseillers en transmission, les prédécesseurs et les potentiels successeurs en vue de son déroulement (Cadieux & Lorrain, 2002).  L’analyse par thèmes spécifiques de la littérature disponible sur la succession en entreprise familiale a permis de construire un cadre théorique novateur. Ce dernier propose que l’analyse de la succession se déploie sur deux phases majeures : celle de l’identification de la nature de la succession et celle de l’opérationnalisation de la succession elle-même.
Mots clés : Entreprise familiale, succession d’entreprise, nature de la succession, opérationnalisation de la succession.
Summery :
Research on succession in family businesses continue to abound so that it becomes appropriate to set some benchmarks for advisors transmission, predecessors and potential successors for its development (Cadieux & Lorrain, 2002). Analysis by specific themes of the available literature on succession in family business has built an innovative theoretical framework. The latter suggests that the analysis of the succession unfolds on two major phases: the identification of the nature of the succession and the operationalization of the succession itself.
Key words: Family business, company succession, nature of succession, operationalization of succession.

1.   Introduction 

La littérature dans le domaine de l’entreprise familiale a subi un développement sans précédent ces deux dernières décennies.  L’entreprise familiale est devenue pépinière des innovations et du sens de la créativité (Lucie & al., 2009).  Plusieurs orientations intéressent les chercheurs en entrepreneuriat familial : la définition même de l’entreprise familiale  (Shane & Venkataraman, 2000), le degré de l’implication de ses acteurs à la chose collective (Levy-Tadjine & Paturel, 2008),  l’exploration de sa nature et de ses spécificités, l’examen des comportements et les profils des familles entrepreneuriales  (Verstraete & Saporta, 2006), la transmission de l’entreprise familiale (Lin, 2006; Handler & Kram, 1988; Cadieux & Lorrain, 2002; Handler W. C., 1994; Hugron & Dumas, 1993), la durée moyenne du règne du prédecesseur ou du fondateur (Handler W. C., 1994) et l’analyse des effets de l’entrepreneuriat familial sur la performance et la pérennité des entreprises familiales voire sur le développement économique local, etc.
La gestion des entreprises familiales est au centre de plusieurs problématiques de recherche. En effet, ces entreprises sont tiraillées d’un bout à l’autre par la tendance à adopter une gouvernance  par  la famille propriétaire ou par un actionnaire non familial (Neubauer & Lank, 1998). Dans le même ordre d’idées, d’autres chercheurs sont arrivés à la conclusion selon laquelle les entreprises familiales dirigées par un actionnaire non familial présentent une performance significative, qu’il soit bien indiqué d’apprécier la théorie  positive de l’agence en matières de la gouvernance des entreprises familiales  (Charlier & Lambert, 2008)

Les études sur la succession en entrepreneuriat familial veulent aussi répondre à cette problématique. Certaines analyses posent la problématique du choix du successeur (Lin, 2006), présentent les facteurs-clé de succès dans le processus de reprise d’une PME familiale  (Van Callie, Santin, Crutzen, & Kabwigiri, 2006) et le cadre théorique de la gestion des risques liés au management par la deuxième génération (KAMEI, 2006). D’autres étudient  la performance de l’entreprise familiale dirigée par un successeur (Colot, 2006) et les relations bancaires de la PME lors de la transmission (Maque, 2008). Et d’autres encore vont même chercher à déterminer le rôle de différents conseillers lors de la transmission des entreprises familiales (Cadieux & Brouard, 2006), etc. A ce jour, plusieurs pistes relatives à la succession d’entreprises et ses contraintes ou facteurs de résistance ont été explorés. Les connaissances sur la nature de la succession, son objet, les étapes de son processus, les rôles et les comportements de ses acteurs, etc. ont été produites (Cadieux & Lorrain, 2002).  D’autres aspects de cette réalité que vivent les PMEs familliales sont en cours d’études.

Tel un noyau autour duquel gravitent les électrons, le domaine de l’entrepreneuriat familial ouvre le champ à plusieurs orientations de recherche. Reprises par thématiques spécifiques, ces recherches tendent à converger vers des résultats similaires (Cadieux & Lorrain, 2002).Il en est de même avec celles qui traitent de la succession dans les entreprises familiales.

De ce point de vue, rassemblant les différentes orientations de recherche en matière de la succession des entreprises familiales, il apparaît opportun de construire un cadre théorique à son étude. Une telle proposition faciliterait l’abord d’une quelconque recherche en ce domaine, sans pourtant en limiter les cadres. C’est l’objet du présent papier.  

2.   Aperçu théorique de la succession dans les entreprises familiales.

La succession est un concept important dans la définition des entreprises familiales. En effet, une entreprise familiale est perçue comme une organisation parfaitement identifiée avec une famille depuis au moins deux générations, reconnue telle dans la mesure où cette relation implique une influence réciproque dans la stratégie et dans la gestion de l’organisation, et dans les intérêts et les objectifs de la famille (Borges & De Lima, 2010).  Partant de cette considération de l’entreprise familiale, il se dégage que la succession se trouve au centre même de sa définition. Une telle importance justifie son exploitation en recherche.

En effet, la succession se trouve au centre de la problématique de la survie de l’entreprise. D’un côté, elle peut assurer la performance de l’entreprise par un apport entrepreneurial (innovation et créativité du successeur) (Colot, 2006)); de l’autre coté, une succession mal opérée peut entrainer des charges qualifiées d’effet perturbateur de la succession telles qu’étudiées par Dherment (1998) ; dans d’autres cas, elle  peut même causer la faillite et la disparition de la firme. D’où l’importance de la formation dans le processus de transmission  de l’entremise.

C’est dans cet ordre d’idées que Cadieux et Brouard (2006) reviennent sur le rôle des conseillers en gestion au cours de la phase successorale. Ce rôle concerne tous les aspects de l’entreprise, de la simple tâche de facturation à la gestion complexe de la firme. Cependant, il a été attesté que le successeur se forme mieux au cours de la phase préliminaire à la succession, phase pendant laquelle le prédécesseur accompagne le successeur dans la connaissance de  l’entremise. Cette phase de règne conjoint  (Borges & De Lima, 2010) permet au successeur de se familiariser avec l’entreprise, de connaître ses problèmes en vue d’éviter des erreurs managériales éventuelles dans le futur. Ainsi donc, comme l’atteste si bien Colot (2006),  les relations sociales sont très importantes au cours de cette phase, parce qu’elles favorisent la motivation du successeur, par la dynamique de la connaissance du patrimoine familial et du développement des valeurs entrepreneuriales.

Ces valeurs entrepreneuriales sont observées aussi bien lorsque la succession s’applique sur la gestion que sur le patrimoine de l’entreprise. (Borges & De Lima, 2010). D’autre part, elles déterminent l’orientation du choix du successeur, qui peut être soit de la famille propriétaire soit de l’extérieur de la famille  (Lin, 2006).  Dans le même ordre d’idées, des recherches en évolution accordent une attention particulière sur la considération du genre dans la problématique de la gestion et la transmission des PME (Cadieux, Lorrain, & Hugron, 2000; Cadieux, Lorrain, & Hugron, 2002; Constantinidis, 2002; Contantinidis & Santin, 2008). Ces recherches posent entre autres la problématique du choix des héritières à la succession des entreprises. Ce choix semble facile lorsque la fille est seule héritière de la famille ou vit dans une fratrie composée des filles. Mais il devient délicat lorsque la fratrie comporte un garçon, dont souvent le choix l’emporte sur celui des filles.
Toutes ces facettes de la succession entrepreneuriales expliquent la complexité de la recherche dans cette matière (Cadieux & Lorrain, 2002). Cette complexité s’explique par la transversalité et la multidisciplinarité qu’on retrouve très souvent dans des thèmes de recherche en matière de la succession entrepreneuriale, tous ayant les rôles des prédécesseurs et des successeurs comme soubassement (Handler W. C., 1994).

Ainsi, en vue de singulariser ce domaine de recherche quelque peu nouvelle, certains auteurs se sont évertués à proposer des modèles d’analyse de la succession entrepreneuriale à travers des recherches utilisant les approches qualitatives. En 2002, les travaux de Cadieux et Lorrain ont fait émerger un reclassement en deux groupes des travaux de recherche en entrepreneuriat. Ces groupes renferment les travaux traitant de la planification et des facteurs de résistance à la succession et ceux qui analysent le processus même de la succession. Ces travaux sont très proches de ceux réalisés par  Fayolle (2004), qui propose de distinguer le système et le processus qui sont deux dimensions de la définition de la situation entrepreneuriale. Dans cette perspective, Borges et Lima (2010) propose un modèle d’analyse de la succession à quatre étapes. Les successeurs subissent une phase d’acceptabilité après laquelle ils bénéficient de la crédibilité des prédécesseurs. Ce qui les rend légitimes à conduire l’action de la PME. Cette action sera couronnée par son sens de leadership. A ce niveau, les valeurs entrepreneuriales sont importantes pour le successeur qui doit imprégner à l’entreprise une touche spéciale. Cette « touche » propre à chaque entrepreneur émane du pouvoir de l’innovation et de la créativité, en vue de faire croître l’entreprise par la création sans cesse de la valeur.

Cependant, la distinction de la nature de transmission d’entreprise, telle que présentée par Hugron et Dumas (1993) reprise et exploitée par Cadieux et Brouard (2006), paraît original quant à la compréhension des enjeux de la succession. Nous proposons dans le paragraphe qui suit un cadre théorique de la succession qui tire son soubassement de cette distinction.

3.   Proposition d’un cadre théorique à l’étude de la succession dans les entreprises familiales.

La revue de la littérature exploitée à ce niveau montre que l’étude de la succession en entrepreneuriat familial peut être conçue en deux phases : l’identification de la nature de la transmission et son opérationnalisation. La  figure 1 ci-dessous schématise ces deux phases.


Figure 1 : Le cadre théorique de l’étude de la succession dans les entreprises familiales.

3.1.      L’identification de la nature de la transmission

Identifier la nature de la succession est primordial lorsqu’on veut aborder des travaux de recherche dans ce domaine, voire même opérer le processus de succession dans une entreprise.

La nature de la succession est différente d’une entreprise à l’autre. Elle dépend de plusieurs facteurs et motivations qui expliquent la décision de transmettre une entreprise. Ces raisons peuvent être financières, organisationnelles, environnementales, voire des dispositions individuelles du propriétaire de l’entreprises, etc. Cependant, le mode de gestion de l’entreprise mis en place ou envisagée par le prédécesseur est un facteur qui peut orienter sensiblement la nature de la succession. En effet, l’entreprise propriété de la famille peut être dirigée par cette dernière ou par un autre agent non familial ou un tiers actionnaire. En retenant deux variables clés, le contrôle et la direction, Neubauer & Lank ( 1998, p. 7) proposent une matrice à quatre modalités relatives aux différentes formes de gouvernance des entreprises : entreprise contrôlée et dirigée par la famille, entreprise contrôlée par la famille mais dirigée par un tiers actionnaire, entreprise non contrôlée mais dirigée par la famille et entreprise non contrôlée ni dirigée par la famille.

A partir de ce modèle, il se dégage que la succession peut être familiale ou non familiale, comme elle peut concerner la propriété tout comme la direction ( (Hugron & Dumas, 1993). Le successeur peut provenir de l’entreprise même ou peut être choisi à l’extérieur de l’entreprise. Trois variables clés de l’analyse de la succession se dégagent de ces considérations : la nature de la succession, son objet et son origine. A partir de ces trois variables, on peut définir deux matrices stratégiques de la succession.


Matrice stratégique 1 : nature et objet de la succession
Tableau 1: Matrice nature-objet de la succession

Nature de la succession
Familiale
Non familiale
Objet de la succession
Propriété (patrimoine)
-    Effectivité de l’existence de l’entreprise familiale
-    Renforcement et partage valeurs familiales entre différentes générations : loyauté et fidélité envers le patrimoine de la familiale, respect mutuel entre génération, etc.
-    Sortie de la famille entreprenante
-    Risque de réorientation stratégique de l’entreprise (vision, mission et objectifs).
-    Développement des valeurs entrepreneuriales : Innovation, créativité et leadership.
Direction (management)
-    Risque du conflit de génération dû au processus de désengagement du prédécesseur
-    Développement des valeurs entrepreneuriales : Innovation, créativité et leadership.
-    Exigence d’une forte capacité de management et de leadership de la part du successeur
-     Recherche de l’expertise externe de la famille
-    Bénéfice de l’Agence
-    Développement des valeurs entrepreneuriales : Innovation, créativité et leadership.
-    Résistance au désengagement.

Le rôle de la famille entreprenante est important lorsque la succession porte tant sur la propriété que sur la direction de l’entreprise. Cependant, plusieurs aspects peuvent modifier l’orientation de ce rôle. La transmission de la propriété de l’entreprise à un membre de la famille s’explique par le souci de maintenir ce patrimoine  dans la sphère familiale. Celle-ci doit assurer la survie de l’entreprise par la poursuite du projet initié par les prédécesseurs. Ici la famille joue un rôle émotionnel, caractérisé par les variables affectives, telles que le respect mutuel, l’attachement aux valeurs familiales, etc. (Cadieux & Lorrain, 2002).  Ce sont ces valeurs transmises entre différentes générations qui donnent du sens à l’entreprise familiale et qui permettent de la qualifier en tant que telle. On retrouve aussi ce rôle au niveau de la transmission de la direction de l’entreprise. Cependant ici, les études ont montré qu’en plus du comportement affectif, le successeur doit faire prévaloir les aptitudes et compétences managériales escomptées. Ces aptitudes reposent sur les valeurs entrepreneuriales d’innovation, de créativité et de leadership (Borges & De Lima, 2010). La  famille joue un rôle de préparation du prédécesseur à amorcer son désengagement (Bayad & Barbot, 2002) et du futur successeur d’acquérir des compétences et du savoir-faire nécessaires à assurer des nouvelles responsabilités. Faute de faire preuve de ces exigences managériales, la direction de l’entreprise peut être confiée à un gestionnaire externe de la famille, qui remplit ces conditions de compétences et d’aptitudes managériales (Lin, 2006). La famille pourra bénéficier alors des effets positifs de la théorie d’agence, émanant des valeurs entrepreneuriales du successeur dirigeant (Charlier & Lambert, 2008). Toutefois, la résistance dont peut souffrir ce dernier de la part du prédécesseur familial n’est pas à écarter (Bayad & Barbot, 2002). Les études ont montré que cette résistance peut en partie être surmontée si la succession est bien préparée, en l’occurrence, par un conseiller à la transmission d’entreprise (Cadieux & Brouard, 2006).

Par ailleurs, lorsque la succession de la propriété est de nature non familiale, l’entreprise perd cette qualité familiale. Cadieux et Lorraine (2002) qualifient une telle situation de famille entreprenante ou en affaires. Il sied ici de constater la sortie (Charlier & Lambert, 2008; Neubauer & Lank, 1998) de la famille de l’entreprise, ou de sa minoration au capital. Dans ce cas, la stratégie générale de l’entreprise peut être revue, en développant d’autres options managériales. Dans d’autres situations, la mission même de l’entreprise peut être différemment orientée. Cependant, l’on a souvent noté un rebond de l’innovation et de la créativité en pareilles situations.

Matrice stratégique 2 : Nature et origine de la succession
Que la transmission concerne le patrimoine ou la direction de l’entreprise, la relation nature-origine de la succession paraît s’appliquer indifféremment. En effet, les études ont montré qu’un repreneur interne de l’entreprise (membre de la famille, salarié ou actionnaire) a des motivations et des perceptions quelque peu différentes sur l’entreprise par rapport à un repreneur externe de l’entreprise (Ramanantsoa, Riot, & Krieger, 2006). La connaissance de l’entreprise, les faibles coûts d’apprentissage des nouveaux propriétaires ou dirigeants, la facilité de communication, etc. sont des avantages qu’on peut tirer d’une transmission à l’interne de l’entreprise. Cependant, le successeur familial, comme vu ci-haut, éprouvera plus de loyauté envers le patrimoine de la famille, alors que le successeur non familial pourra présenter des risques de réorientation stratégique de l’entreprise. 
Les mêmes tendances se font remarquer lorsque la succession est externe de l’entreprise. Il   y a un effort de connaissance de l’entreprise par le successeur, un souffle d’innovation et créativité apporté par ce dernier. Le successeur familial se fait distinguer par la loyauté et la protection des intérêts de la famille et le successeur non familial par le besoin de restructurer la stratégie de l’entreprise, qui devra répondre à la vision du nouveau dirigeant ou nouveau propriétaire.
Tableau 2: Matrice nature-origine de la succession

Nature de la succession
Familiale
Non familiale
Origine de la succession
Interne de l’entreprise
-    Loyauté
-    Connaissances de l’entreprise
-    Faible coût d’entrée
-    Facilité de communication
-    Innovation et créativité
-    Connaissance de l’entreprise
-    Economie d’apprentissage
-    Risque de réorientation stratégique de l’entreprise
-    Facilité de communication
-    Faible coût à l’entrée
-    Innovation et créativité
Externe de l’entreprise
-    Loyauté
-    Connaissances des intérêts familiaux
-    Effort d’apprentissage (manque de connaissances)
-    Innovation et créativité
-    Effet perturbateur élevé
-    Coût d’insertion
-    Coût d’apprentissage
-    Coût d’insertion
-    Coût lié à la perturbation élevé
-    Innovation, créativité et développement
-    Risque de réorientation stratégique de l’entreprise



Sur un autre registre, la succession de l’entreprise devient très dépendante de l’objectif fixé par le prédécesseur (Lin, 2006). Le successeur est choisi selon que l’entreprise se dote d’une vision « patrimoniale » ou « affairiste ». La première considère que l’entrepreneur fondateur tient à faire survivre son chef d’œuvre entre les mains de sa famille. Compris sous cet angle, cette vision accorde plus d’importance à la survie de l’entreprise et au respect des idéaux du fondateur. Alors que la vision d’affaires, elle, poursuit les profits et la maximation des richesses de l’entreprise. La recherche de l’équilibre est donc au centre de la problématique de l’étude de la performance de la PME à la seconde génération (Ramanantsoa, Riot, & Krieger, 2006).

3.2.      L’opérationnalisation de la  succession

La littérature sur la succession des entreprises familiales s’est développée suite à un effort de conceptualisation de ce phénomène crucial de la vie des entreprises qu’est la transmission.  (Handler W. C., 1994). Conceptualiser la transmission des entreprises suppose la connaissance en profondeur des rôles que joue chaque acteur, pour que l’entreprise résiste au choc dû au changement (Cadieux & Lorrain, 2002; Handler W. C., 1994). Ainsi, la transmission est opérée lorsque chacun des acteurs (prédécesseur, successeur, conseillers, etc.) a convenablement rempli sa mission. Pour y arriver, la littérature sur les études des cas sur la succession montre qu’une fois la nature de la succession est bien identifiée, il revient maintenant de bien la (la succession) planifier avant d’entamer son processus.

a)   Planifier la succession

La planification de la succession est une étape préliminaire mais très importante pour la réussite de la transmission d’entreprise (Mouline, 2000). Les travaux préliminaires à la succession concernent la préparation du potentiel successeur. Cette préparation suppose sa connaissance, ses valeurs, celle de son milieu direct (famille) et indirect (l’environnement). Ainsi, la succession devient un centre de foisonnement de plusieurs considérations : culturelles, sociales, psychologique et managériales (Handler W. C., 1994).  Cette dynamique de connaître le potentiel successeur s’insère dans un cadre aussi dynamique comportant quatre dimension : dimension individuelle, interpersonnelle, organisationnelle et environnementale (Handler & Kram, 1988). Lorsque l’un de ces quatre variables ne prête pas à la planification de la succession, elle en constitue une résistance. Ceci est autant vrai que ces facteurs rendent l’analyse de la succession systémique (Fayolle, 2004), dont le rôle des facteurs (dimensions) devient crucial.



Tableau 3: Présentation des quatre facteurs de la planification de la succession selon Handler et Kram (1988) repris par Hamrouni et Mnasser (2009).

Facteurs d’ordre individuel
- Le déni de la mort ou le désir d'immortalité
- La peur de perdre son identité
- Le refus de se défaire de l'organisation qui représente une extension de soi-même
- La peur de vieillir
- Le refus de perdre le pouvoir et le contrôle
- La peur que le successeur rejette ce qui a été accompli.
- La peur de l’inactivité
Facteurs d’ordre interpersonnel
- Un souci d'équité pour chacun des enfants
- Une crainte de l'apparition de conflits familiaux
- Volonté de ne pas donner l'impression d'être avide de pouvoir et d'argent
- La peur de la mort des parents
Facteurs d’ordre organisationnel
- La difficulté à aborder ce sujet avec le dirigeant
- Le refus de mettre fin aux relations personnelles avec le fondateur
- La prise de conscience qu'eux-mêmes vieillissent
- La peur des changements qui peuvent survenir au niveau de la gestion de l'organisation
Facteurs d’ordre environnemental
- Dépendance des clients et des fournisseurs envers le fondateur
- Valeurs culturelles ne favorisant pas la planification de la relève
 Source : (Hamrouni & Mnasser, 2009)
Ce qui rend complexe la planification de la succession et qui augmente sa délicatesse est le fait que plusieurs constituants de ces facteurs présentés au tableau 3 relèvent du domaine affectif et émotif, sensé subjectif et difficile à analyser objectivement (Cadieux & Lorrain, 2002). Le « planificateur » de la succession doit alors étudier la personne dans  toute sa dimension, la qualité des relations qui régissent les différents membres de la famille,   les attentes des prédécesseurs et des successeurs, la vision du fondateur à la création de son entreprise, le type de relation entretenue par le personnel et les dirigeants, le degré d’attachement de la famille à l’entreprise, etc. (Handler & Kram, 1988).  Il doit aussi bien étudier le portefeuille et le degré de fidélisation de la clientèle détenue par le prédécesseur. De même, les valeurs culturelles sont très importantes dans les analyses de la succession, qu’elle soit entrepreneuriale ou autres. Dans certaines régions du monde, la culture exclue les filles/femmes à la succession de la direction d’entreprise, en dépit des compétences dont elles peuvent faire preuve (Contantinidis & Santin, 2008).
Tous ces éléments qui chevauchent les uns sur les autres expliquent le ralentissement que peut connaitre l’amorce de la succession en tant que processus. 

b)   La succession : un processus

Lorsqu’elle est bien planifiée, la succession devient un processus à conduire d’une manière méthodique. Pour plusieurs auteurs, la succession est un processus et d’ailleurs c’est cet aspect des choses qui est le plus exploité par la recherche sur la succession (Handler & Kram, 1988; Handler W. C., 1994; Cadieux & Brouard, 2006; Bayad & Barbot, 2002; Borges & De Lima, 2010; Van Caillie, Santin, Crutzen, & Kabwigiri, 2006; Barbot & Richomme-Huet, 2000; Hugron & Dumas, 1993). Toutes ces recherches attestent que la succession d’entreprise est un processus à quatre étapes, considérées tant du point de vue du prédécesseur que du successeur.
Pour Handler (1994), l’évolution du prédécesseur et celui du successeur est un processus chevauchant, dont les comportements des acteurs s’influencent mutuellement. En ce qui concerne le prédécesseur, il commence comme opérateur solitaire, il évolue comme un monarque, devient un délégateur ou un contremaître et finit comme un consultant. Le successeur lui est au départ un monsieur/une dame lambda pour l’entreprise, sans rôle du tout. Il devient par la suite un second, puis un manager et enfin un leader décideur. 
Cadieux et Lorrain (2002) reprennent le modèle proposé par Hugron et Dumas (1993). Ce dernier comporte quatre étapes du processus de transmission, selon que celle-ci concerne le patrimoine ou la gestion de la firme familiale. Pour le transfert de la gestion, il s’agit de l’incubation, du choix, du règne-conjoint et du désengagement alors que pour celui de la propriété, il est question de l’amorce de la décision, de la décision en elle-même, de la consultation auprès d’experts et de la finalisation. Ce modèle peut être rapproché de celui proposé par Borges et Lima (2010). Le rapprochement que l’on peut faire de ces deux propositions telles que présentées à la figure 2 ci-dessous paraît capital pour la singularisation de la succession en entrepreneuriat familial. En effet, toute démarche successorale commence par la prise de conscience de la nécessité de transmettre l’entreprise à une autre génération ou à un nouvel acquéreur. Cette nécessité est expliquée par plusieurs raisons (Lin, 2006), dont la plus courante est le souci de pérennisation du patrimoine familial (Cadieux & Brouard, 2006).  Cette prise de conscience est suivi par l’initiation du potentiel successeur à des différents postes de l’entreprise, afin qu’il se révèle crédible à acquérir l’entreprise. Cette intégration au sein de l’entreprise le rend apte à codiriger la firme et le successeur occupe un poste de cadre pour enfin occuper la direction générale après le désengagement du prédécesseur. 



 Figure 2: Présentation rapprochée des modèles de Hugron et Dumas (1993) et de Borges et Lima (2010)

Ces deux modèles montrent que le successeur subit, au cours du processus successoral, une phase d’initiation, d’intégration, de règne conjoint et de finalisation marquant le retrait du prédécesseur (Cadieux & Lorrain, 2002; Barbot & Richomme-Huet, 2000).
Mis ensemble, la planification et le processus de succession deviennent un phénomène systémique, capital pour la survie de l’entreprise. En effet, les valeurs individuelles, interpersonnelles, organisationnelles et environnementales sont rencontrées et évaluées au cours du processus de la succession. Celle-ci n’est plus linéaire, mais évolutive par une dynamique d’apprentissage et de responsabilisation du successeur. Sa réussite dépend tant de l’appréhension des éléments du système par les acteurs de la transmission que du niveau d’implication de ceux-ci.
Le cadre théorique ainsi analysé et présenté par la figure 1 est un phénomène évolutif au sein de l’entreprise. Les deux phases, à savoir l’identification de la nature de la succession et son opérationnalisation, se présentent comme des étapes interdépendantes et indispensables à l’accomplissement de la succession.

4.   Conclusion

La succession en entrepreneuriat familial est un champ de recherches en évolution. Plusieurs faits susceptibles d’influencer le management et la performance des entreprises familiales y sont attachés. Cette réalité est d’autant plus importante pour les entreprises familiales que leur rôle au sein des économies dans les différentes nations du globe. Etudier les entreprises familiales et offrir une trousse d’outils pour leur performance et leur survie devient un devoir immense pour le scientifique de gestion.
Les recherches menées jusqu’ici en succession des entreprises familiales ont permis d’établir plusieurs connaissances au point d’en fixer quelques repères pour les conseillers en transmission, les prédécesseurs et les potentiels successeurs, en vue de son bon déroulement.  La revue de la littérature consultée à ce niveau a montré qu’il soit nécessaire de proposer un cadre théorique à l’étude de cette succession, avec les connaissances ainsi produites dans le domaine de la succession. Ce cadre théorique propose que l’analyse de la succession connaisse deux phases majeures : celle de l’identification de la nature de la succession et celle de l’opérationnalisation de la succession elle-même. Cette dernière comprenant la planification et la reconnaissance de la succession en tant que processus.
Théorique et émanant d’une revue de la littérature, ce modèle est appelé à être confronté sur terrain, pour sa validation empirique.


BIBLIOGRAPHIE
1.    Barbot, M.-C., & Richomme-Huet, K. (2000). Le contexte successoral des PME familialn processus entrepreneurial? Consulté le Janivier 7, 2014, sur HEC-Canada.
2.    Bayad, M., & Barbot, M.-C. (2002). Proposition d'un modèle de succession dans les PME familiales: étude de cas exploratoire de la relation père-fille. 6ème Congrès International francophone sur la PME. Montréal: HEC.
3.    Borges, F. A., & De Lima, J. B. (2010). Proposition d'un modèle de succession entrepreneuriale en entreprises familiales: une étude de cas. CIFEPME, (pp. 1-16). Toronto.
4.    Cadieux, L., & Brouard, F. (2006). La Transmission des entreprises familiales et le rôle des différents conseillers. Journées Georges Doriot. Deauville.
5.    Cadieux, L., & Lorrain, J. (2002). Le processus de la succession dans les entreprises familiales :une problématique comportant des défis estimables pour les chercheurs. 6° Congrès international francophone sur la PME. Montréal: HEC.
6.    Cadieux, L., Lorrain, J., & Hugron, P. (2000). La succession dans les entreprises familiales :une étude de cas exploratoire auprès de quatre PME manufacturières fondées et dirigées par des femmes. 5ème Congrès International Francophone sur la PME,. Lille.
7.    Cadieux, L., Lorrain, J., & Hugron, P. (2002). La succession dans les entreprises familiales gérées par les femmes : une problématique en quête de chercheurs. Revue internationale de la PME, 15(1), pp. 115-130.
8.    Charlier, P., & Lambert, G. (2008). Entrepreneuriat Familial en Europe et Stratégies de Gouvernance: Une perspective positive des théories de l'Agence. Journée de recherche entreprenuriat et Stratégie (pp. 1-19). Bordeaux: Laboratoire CESAC.
9.    Colot, O. (2006)). Profil du repreneur et performance de l'entreprise familiale. . Les Journées Georges Doriot. Deauville, Paris: Hec Paris, Ecole de management de la Normandie.
10.              Constantinidis, C. (2002). Les femmes entrepreneures et la transmission d’entreprise. Les journées George Doriot. Deauville: Ecole de Management Normandie;Hec Paris.
11.              Contantinidis, C., & Santin, S. (2008). La reprise d’entreprise familiale par les filles d’entrepreneur :une lecture en termes de genre. 2ème Journée Georges Doriot. Paris: Ecole de Management Normandie; HEC Paris.
12.              Fayolle, A. (2004). Entrepreneuriat et processus: faire du processus un objet de receherche et mieux prendre en compte la dimension processus dans les recherches. Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME,. Montréal, Canada, 7.
13.              Hamrouni, D. A., & Mnasser, K. (2009). Les facteurs à l'origine de la réussite de la succession des entreprises familiales:Cas des entreprises tunisiennes ayant réussi leur transfert générationnel de la deuxième à la troisième génération. Consulté le 2014, sur Association Internationale de Management Stratégique: http://www.strategie-aims.com/events/conferences/3-xviiieme-conference-de-l-aims/communications/224
14.              Handler, W. C. (1994). Succession in Family Business: A Review of the Research. Consulté le Janvier 4, 2014, sur Sage Publications: http://fbr.sagepub.com/cgi/content/refs/7/2/133
15.              Handler, W.-C., & Kram, K.-E. (1988). Succession in Family Firms: The Problem of Resistance. Family Business Review, 361-381.
16.              Hugron, P., & Dumas, C. (1993). Modélisation du processus de succession des entreprises familiales québécoises. Récupéré sur RefDoc: http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=51793
17.              Kamei, K. (2006). Gestion des risques liés au management par la deuxième génération. Cadre théorique et cas du Japon. 1ères journées Georges Doriot. Deauville: Ecole de Management de Normandie;Hec Paris.
18.              KAMEI, K. (2006). Gestion des risques liés au management par ma deuxième génération: cadre théorique et cas au japon. 1ères Journées George Doriot –. Deauville: Ecole de Management Normandie; HEC Paris.
19.              Levy-Tadjine, T., & Paturel, R. (2008). Entrepreneuriat Familial: Action à plusieurs ou action commune. Journée Georges Doriot. Paris: HEC.
20.              Lin, Y. (2006). Entrepreneuriat familial et succession: Enquête dans la province du Zhejiang. Consulté le Novembre 09, 2013, sur Perspectives Chinoises: http://perspectiveschinoises.revues.org/980
21.              Maque, I. (2008). L'entrepreneuriat familial: Transmision et gestion des relations bancaires. Exemples de deux PME Françaises. . 2ème journée Georges Doriot. Paris: HEC Paris, Ecole de Management ''Normandie''.
22.              Mouline, J. (2000). Dynamique de la succession managériale dans la PME familiale non cotée. , Finance Contrôle Stratégie, 197-222.
23.              Neubauer, F., & Lank, A. G. (1998). The Family Business: Its Governance for Sustainability. . Routlegde.
24.              Ramanantsoa, B., Riot, E., & Krieger, E. (2006). Le dilemme du repreneuriat ou les structures élémentaires de la parenté. 1ères Journées George Doriot. Deauville: Ecole de Management Normandie; HEC Paris.
25.              Shane, S., & Venkataraman, S. (2000). The promise of entrepreneurship as a field of research. The Academy of Management Review (25), 217-226.
26.              Sharma, P. (2004). An overview of the field of family business studies : current status and directions for the future. Family Business Review, 17 (1), 1-36.
27.              Van Caillie, D., Santin, S., Crutzen, N., & Kabwigiri, C. (2006). L’analyse équilibrée des symptômes de déséquilibre de la PME à reprendre, facteur-clé du succès du processus de reprise : légitimation théorique et première validation empirique. 1ères Journées George Doriot – 16 & 17 mars - . Deauville: Ecole de Management Normandie; Hec PAris.
28.              Van Callie, D., Santin, S., Crutzen, N., & Kabwigiri, C. (2006). L'analyse équilibrée des symptômes de déséquilibre de la PME à reprendre, facteur-clé de succès du processus de reprise: légitimation théorique et première validation empirique. 1ères journée Georges Doriot. Deauville: Ecole de Management Normandie; Hec Paris.

29.              Verstraete, T., & Saporta, B. (2006). Creation d'entreprise et Entrepreneuriat. Récupéré sur ADREG: www.adreg.net



Crispin ENAGOGO AGADUSAMESO
Master en Entrepreneuriat
Téléphone : +49 1517 1341 91
Crissleduc@gmail.com