« Proposition d’un cadre théorique à l’étude de la succession dans les entreprises familiales »
Par Crispin ENAGOGO AGADUSAMESO
Résumé :
Résumé :
Les
recherches sur la succession en entreprises familiales ne cessent de foisonner
au point qu’il devient opportun d’en fixer quelques repères pour les
conseillers en transmission, les prédécesseurs et les potentiels successeurs en
vue de son déroulement (Cadieux & Lorrain,
2002). L’analyse par thèmes
spécifiques de la littérature disponible sur la succession en entreprise
familiale a permis de construire un cadre théorique novateur. Ce dernier propose
que l’analyse de la succession se déploie sur deux phases majeures : celle
de l’identification de la nature de la succession et celle de
l’opérationnalisation de la succession elle-même.
Mots clés :
Entreprise familiale, succession d’entreprise, nature de la succession,
opérationnalisation de la succession.
Summery :
Research on succession in family businesses continue
to abound so that it becomes appropriate to set some benchmarks for advisors
transmission, predecessors and potential successors for its development
(Cadieux & Lorrain, 2002). Analysis by specific
themes of the available literature on succession in family business has built
an innovative theoretical framework. The latter suggests that the analysis of the succession unfolds on two
major phases: the identification of the nature of the succession and the
operationalization of the succession itself.
Key
words: Family business,
company succession, nature of succession, operationalization of succession.
1.
Introduction
La littérature dans le domaine de l’entreprise
familiale a subi un développement sans précédent ces deux dernières
décennies. L’entreprise familiale est
devenue pépinière des innovations et du sens de la créativité (Lucie & al., 2009). Plusieurs orientations intéressent les
chercheurs en entrepreneuriat familial : la définition même de
l’entreprise familiale (Shane & Venkataraman, 2000), le
degré de l’implication de ses acteurs à la chose collective (Levy-Tadjine & Paturel, 2008), l’exploration de sa nature et de ses
spécificités, l’examen des comportements et les profils des familles
entrepreneuriales (Verstraete & Saporta, 2006), la transmission
de l’entreprise familiale (Lin, 2006; Handler
& Kram, 1988; Cadieux & Lorrain, 2002; Handler W. C., 1994; Hugron
& Dumas, 1993), la durée moyenne du
règne du prédecesseur ou du fondateur (Handler W. C., 1994) et l’analyse
des effets de l’entrepreneuriat familial sur la performance et la pérennité des
entreprises familiales voire sur le développement économique local, etc.
La gestion des entreprises familiales est au centre de
plusieurs problématiques de recherche. En effet, ces entreprises sont
tiraillées d’un bout à l’autre par la tendance à adopter une gouvernance par la
famille propriétaire ou par un actionnaire non familial (Neubauer & Lank, 1998). Dans le même ordre d’idées, d’autres
chercheurs sont arrivés à la conclusion selon laquelle les entreprises
familiales dirigées par un actionnaire non familial présentent une performance
significative, qu’il soit bien indiqué d’apprécier la théorie positive de l’agence en matières de la gouvernance
des entreprises familiales (Charlier & Lambert, 2008)
Les études sur la succession en entrepreneuriat
familial veulent aussi répondre à cette problématique. Certaines analyses
posent la problématique du choix du successeur (Lin,
2006), présentent les facteurs-clé de succès dans le processus de
reprise d’une PME familiale (Van Callie, Santin, Crutzen, & Kabwigiri,
2006) et le cadre théorique de la gestion des risques liés au management
par la deuxième génération (KAMEI, 2006).
D’autres étudient la performance de
l’entreprise familiale dirigée par un successeur (Colot, 2006) et les relations bancaires de la PME lors de la
transmission (Maque, 2008). Et d’autres
encore vont même chercher à déterminer le rôle de différents conseillers lors
de la transmission des entreprises familiales
(Cadieux & Brouard, 2006), etc. A ce jour, plusieurs pistes
relatives à la succession d’entreprises et ses contraintes ou facteurs de
résistance ont été explorés. Les connaissances sur la nature de la succession,
son objet, les étapes de son processus, les rôles et les comportements de ses
acteurs, etc. ont été produites (Cadieux &
Lorrain, 2002). D’autres aspects
de cette réalité que vivent les PMEs familliales sont en cours d’études.
Tel un noyau autour duquel gravitent les électrons, le
domaine de l’entrepreneuriat familial ouvre le champ à plusieurs orientations
de recherche. Reprises par thématiques spécifiques, ces recherches tendent à
converger vers des résultats similaires (Cadieux
& Lorrain, 2002).Il en est de même avec celles qui traitent de la
succession dans les entreprises familiales.
De ce point de vue, rassemblant les différentes
orientations de recherche en matière de la succession des entreprises
familiales, il apparaît opportun de construire un cadre théorique à son étude.
Une telle proposition faciliterait l’abord d’une quelconque recherche en ce
domaine, sans pourtant en limiter les cadres. C’est l’objet du présent
papier.
2.
Aperçu théorique de la succession
dans les entreprises familiales.
La succession est un concept important dans la
définition des entreprises familiales. En effet, une entreprise familiale est
perçue comme une organisation
parfaitement identifiée avec une famille depuis au moins deux générations,
reconnue telle dans la mesure où cette relation implique une influence
réciproque dans la stratégie et dans la gestion de l’organisation, et dans les
intérêts et les objectifs de la famille (Borges
& De Lima, 2010). Partant de
cette considération de l’entreprise familiale, il se dégage que la succession
se trouve au centre même de sa définition. Une telle importance justifie son
exploitation en recherche.
En effet, la succession se trouve au centre de la
problématique de la survie de l’entreprise. D’un côté, elle peut assurer la
performance de l’entreprise par un apport entrepreneurial (innovation et
créativité du successeur) (Colot, 2006));
de l’autre coté, une succession mal opérée peut entrainer des charges
qualifiées d’effet perturbateur de la
succession telles qu’étudiées par Dherment (1998) ;
dans d’autres cas, elle peut même causer
la faillite et la disparition de la firme. D’où l’importance de la formation dans
le processus de transmission de
l’entremise.
C’est dans cet ordre d’idées que
Cadieux et Brouard (2006) reviennent sur le rôle des conseillers en gestion au
cours de la phase successorale. Ce rôle concerne tous les aspects de
l’entreprise, de la simple
tâche de facturation à la gestion complexe de la firme. Cependant, il a été
attesté que le successeur se forme mieux au cours de la phase préliminaire à la
succession, phase pendant laquelle le prédécesseur accompagne le successeur
dans la connaissance de l’entremise.
Cette phase de règne conjoint (Borges & De Lima, 2010) permet au
successeur de se familiariser avec l’entreprise, de connaître ses problèmes en
vue d’éviter des erreurs managériales éventuelles dans le futur. Ainsi donc, comme
l’atteste si bien Colot (2006), les relations sociales sont très importantes
au cours de cette phase, parce qu’elles favorisent la motivation du successeur,
par la dynamique de la connaissance du patrimoine familial et du développement
des valeurs entrepreneuriales.
Ces valeurs entrepreneuriales sont observées aussi
bien lorsque la succession s’applique sur la gestion que sur le patrimoine de
l’entreprise. (Borges & De Lima, 2010).
D’autre part, elles déterminent l’orientation du choix du successeur, qui peut
être soit de la famille propriétaire soit de l’extérieur de la famille (Lin, 2006).
Dans le même ordre d’idées, des recherches en évolution accordent une
attention particulière sur la considération du genre dans la problématique de
la gestion et la transmission des PME (Cadieux,
Lorrain, & Hugron, 2000; Cadieux, Lorrain, & Hugron, 2002;
Constantinidis, 2002; Contantinidis & Santin, 2008). Ces recherches
posent entre autres la problématique du choix des héritières à la succession
des entreprises. Ce choix semble facile lorsque la fille est seule héritière de
la famille ou vit dans une fratrie composée des filles. Mais il devient délicat
lorsque la fratrie comporte un garçon, dont souvent le choix l’emporte sur celui
des filles.
Toutes ces facettes de la succession entrepreneuriales
expliquent la complexité de la recherche dans cette matière (Cadieux & Lorrain, 2002). Cette
complexité s’explique par la transversalité et la multidisciplinarité qu’on
retrouve très souvent dans des thèmes de recherche en matière de la succession
entrepreneuriale, tous ayant les rôles des prédécesseurs et des successeurs
comme soubassement (Handler W. C., 1994).
Ainsi, en vue de singulariser ce domaine de recherche
quelque peu nouvelle, certains auteurs se sont évertués à proposer des modèles
d’analyse de la succession entrepreneuriale à travers des recherches utilisant
les approches qualitatives. En 2002, les travaux de Cadieux et Lorrain ont fait
émerger un reclassement en deux groupes des travaux de recherche en
entrepreneuriat. Ces groupes renferment les travaux traitant de la planification
et des facteurs de résistance à la succession et ceux qui analysent le
processus même de la succession. Ces travaux sont très proches de ceux réalisés
par Fayolle (2004), qui propose de
distinguer le système et le processus qui sont deux dimensions de la définition
de la situation entrepreneuriale. Dans cette perspective, Borges et Lima (2010)
propose un modèle d’analyse de la succession à quatre étapes. Les successeurs
subissent une phase d’acceptabilité après laquelle ils bénéficient de la
crédibilité des prédécesseurs. Ce qui les rend légitimes à conduire l’action de
la PME. Cette action sera couronnée par son sens de leadership. A ce niveau,
les valeurs entrepreneuriales sont importantes pour le successeur qui doit
imprégner à l’entreprise une touche spéciale. Cette « touche » propre
à chaque entrepreneur émane du pouvoir de l’innovation et de la créativité, en
vue de faire croître l’entreprise par la création sans cesse de la valeur.
Cependant,
la distinction de la nature de transmission d’entreprise, telle que présentée
par Hugron et Dumas (1993) reprise et exploitée par Cadieux et Brouard (2006),
paraît original quant à la compréhension des enjeux de la succession. Nous
proposons dans le paragraphe qui suit un cadre théorique de la succession qui
tire son soubassement de cette distinction.
3. Proposition d’un cadre théorique à l’étude de la succession dans les entreprises familiales.
La revue de la littérature exploitée à ce niveau montre que l’étude de la succession en entrepreneuriat familial peut être conçue en deux phases : l’identification de la nature de la transmission et son opérationnalisation. La figure 1 ci-dessous schématise ces deux phases.
Figure
1 :
Le cadre théorique de l’étude de la succession dans les entreprises familiales.
3.1.
L’identification de la nature de
la transmission
Identifier
la nature de la succession est primordial lorsqu’on veut aborder des travaux de
recherche dans ce domaine, voire même opérer le processus de succession dans
une entreprise.
La
nature de la succession est différente d’une entreprise à l’autre. Elle dépend
de plusieurs facteurs et motivations qui expliquent la décision de transmettre
une entreprise. Ces raisons peuvent être financières, organisationnelles,
environnementales, voire des dispositions individuelles du propriétaire de l’entreprises,
etc. Cependant, le mode de gestion de l’entreprise mis en place ou envisagée
par le prédécesseur est un facteur qui peut orienter sensiblement la nature de
la succession. En effet, l’entreprise propriété de la famille peut être dirigée
par cette dernière ou par un autre agent non familial ou un tiers actionnaire. En
retenant deux variables clés, le contrôle
et la direction, Neubauer & Lank ( 1998,
p. 7) proposent une matrice à quatre modalités relatives aux différentes
formes de gouvernance des entreprises : entreprise contrôlée et dirigée
par la famille, entreprise contrôlée par la famille mais dirigée par un tiers
actionnaire, entreprise non contrôlée mais dirigée par la famille et entreprise
non contrôlée ni dirigée par la famille.
A
partir de ce modèle, il se dégage que la succession peut être familiale ou non
familiale, comme elle peut concerner la propriété tout comme la direction ( (Hugron & Dumas, 1993). Le successeur peut
provenir de l’entreprise même ou peut être choisi à l’extérieur de
l’entreprise. Trois variables clés de l’analyse de la succession se dégagent de
ces considérations : la nature
de la succession, son objet et son origine. A partir de ces trois
variables, on peut définir deux matrices stratégiques de la succession.
Matrice
stratégique 1 : nature et objet de la succession
Tableau
1: Matrice nature-objet de
la succession
Nature
de la succession
|
|||
Familiale
|
Non
familiale
|
||
Objet de
la succession
|
Propriété
(patrimoine)
|
-
Effectivité de l’existence de
l’entreprise familiale
-
Renforcement et partage valeurs
familiales entre différentes générations : loyauté et fidélité envers le
patrimoine de la familiale, respect mutuel entre génération, etc.
|
-
Sortie de la famille entreprenante
-
Risque de réorientation stratégique de
l’entreprise (vision, mission et objectifs).
-
Développement des valeurs
entrepreneuriales : Innovation, créativité et leadership.
|
Direction
(management)
|
-
Risque du conflit de génération dû au
processus de désengagement du prédécesseur
-
Développement des valeurs
entrepreneuriales : Innovation, créativité et leadership.
-
Exigence d’une forte capacité de
management et de leadership de la part du successeur
|
-
Recherche
de l’expertise externe de la famille
-
Bénéfice de l’Agence
-
Développement des valeurs
entrepreneuriales : Innovation, créativité et leadership.
-
Résistance au désengagement.
|
Le
rôle de la famille entreprenante est important lorsque la succession porte tant
sur la propriété que sur la direction de l’entreprise. Cependant, plusieurs
aspects peuvent modifier l’orientation de ce rôle. La transmission de la
propriété de l’entreprise à un membre de la famille s’explique par le souci de
maintenir ce patrimoine dans la sphère
familiale. Celle-ci doit assurer la survie de l’entreprise par la
poursuite du projet initié par les prédécesseurs. Ici la famille joue un rôle
émotionnel, caractérisé par les variables affectives, telles que le respect
mutuel, l’attachement aux valeurs familiales, etc. (Cadieux & Lorrain, 2002).
Ce sont ces valeurs transmises entre différentes générations qui donnent
du sens à l’entreprise familiale et qui permettent de la qualifier en tant que
telle. On retrouve aussi ce rôle au niveau de la transmission de la direction
de l’entreprise. Cependant ici, les études ont montré qu’en plus du
comportement affectif, le successeur doit faire prévaloir les aptitudes et
compétences managériales escomptées. Ces aptitudes reposent sur les valeurs
entrepreneuriales d’innovation, de créativité et de leadership (Borges & De Lima, 2010). La famille joue un rôle de préparation du
prédécesseur à amorcer son désengagement (Bayad
& Barbot, 2002) et du futur successeur d’acquérir des compétences et
du savoir-faire nécessaires à assurer des nouvelles responsabilités. Faute de
faire preuve de ces exigences managériales, la direction de l’entreprise peut
être confiée à un gestionnaire externe de la famille, qui remplit ces
conditions de compétences et d’aptitudes managériales (Lin, 2006). La famille pourra bénéficier alors des effets positifs
de la théorie d’agence, émanant des valeurs
entrepreneuriales du successeur dirigeant (Charlier
& Lambert, 2008). Toutefois, la résistance dont peut souffrir ce dernier
de la part du prédécesseur familial n’est pas à écarter (Bayad & Barbot, 2002). Les études ont montré que cette
résistance peut en partie être surmontée si la succession est bien préparée, en
l’occurrence, par un conseiller à la transmission d’entreprise (Cadieux & Brouard, 2006).
Par
ailleurs, lorsque la succession de la propriété est de nature non familiale, l’entreprise perd cette
qualité familiale. Cadieux et Lorraine (2002) qualifient une telle situation de
famille entreprenante ou en affaires.
Il sied ici de constater la sortie (Charlier
& Lambert, 2008; Neubauer & Lank, 1998) de la famille de
l’entreprise, ou de sa minoration au
capital. Dans ce cas, la stratégie générale de l’entreprise peut être revue, en
développant d’autres options managériales. Dans d’autres situations, la mission
même de l’entreprise peut être différemment orientée. Cependant, l’on a souvent
noté un rebond de l’innovation et de la créativité en pareilles situations.
Matrice stratégique
2 : Nature et origine de la succession
Que
la transmission concerne le patrimoine ou la direction de l’entreprise, la
relation nature-origine de la succession paraît s’appliquer indifféremment. En
effet, les études ont montré qu’un repreneur interne de l’entreprise (membre de
la famille, salarié ou actionnaire) a des motivations et des perceptions
quelque peu différentes sur l’entreprise par rapport à un repreneur externe de
l’entreprise (Ramanantsoa, Riot, & Krieger, 2006). La connaissance de
l’entreprise, les faibles coûts d’apprentissage des nouveaux propriétaires ou
dirigeants, la facilité de communication, etc. sont des avantages qu’on peut
tirer d’une transmission à l’interne de l’entreprise. Cependant, le successeur
familial, comme vu ci-haut, éprouvera plus de loyauté envers le patrimoine de
la famille, alors que le successeur non familial pourra présenter des risques
de réorientation stratégique de l’entreprise.
Les
mêmes tendances se font remarquer lorsque la succession est externe de
l’entreprise. Il y a un effort de
connaissance de l’entreprise par le successeur, un souffle d’innovation et
créativité apporté par ce dernier. Le successeur familial se fait distinguer
par la loyauté et la protection des intérêts de la famille et le successeur non
familial par le besoin de restructurer la stratégie de l’entreprise, qui devra
répondre à la vision du nouveau dirigeant ou nouveau propriétaire.
Tableau 2: Matrice nature-origine
de la succession
Nature
de la succession
|
|||
Familiale
|
Non
familiale
|
||
Origine
de la succession
|
Interne
de l’entreprise
|
-
Loyauté
-
Connaissances de l’entreprise
-
Faible coût d’entrée
-
Facilité de communication
-
Innovation et créativité
|
-
Connaissance de l’entreprise
-
Economie d’apprentissage
-
Risque de réorientation stratégique de
l’entreprise
-
Facilité de communication
-
Faible coût à l’entrée
-
Innovation et créativité
|
Externe
de l’entreprise
|
-
Loyauté
-
Connaissances des intérêts familiaux
-
Effort d’apprentissage (manque de
connaissances)
-
Innovation et créativité
-
Effet perturbateur élevé
-
Coût d’insertion
|
-
Coût d’apprentissage
-
Coût d’insertion
-
Coût lié à la perturbation élevé
-
Innovation, créativité et développement
-
Risque de réorientation stratégique de
l’entreprise
|
Sur
un autre registre, la succession de l’entreprise devient très dépendante de
l’objectif fixé par le prédécesseur (Lin, 2006).
Le successeur est choisi selon que l’entreprise se dote d’une vision
« patrimoniale » ou « affairiste ». La première considère
que l’entrepreneur fondateur tient à faire survivre son chef d’œuvre entre les
mains de sa famille. Compris sous cet angle, cette vision accorde plus
d’importance à la survie de l’entreprise et au respect des idéaux du fondateur.
Alors que la vision d’affaires, elle, poursuit les profits et la maximation des
richesses de l’entreprise. La recherche de l’équilibre est donc au centre de la
problématique de l’étude de la performance de la PME à la seconde génération (Ramanantsoa, Riot, & Krieger, 2006).
3.2.
L’opérationnalisation de la succession
La littérature sur la succession des
entreprises familiales s’est développée suite à un effort de conceptualisation de
ce phénomène crucial de la vie des entreprises qu’est la transmission. (Handler W.
C., 1994). Conceptualiser la transmission des entreprises suppose la
connaissance en profondeur des rôles que joue chaque acteur, pour que
l’entreprise résiste au choc dû au changement (Cadieux
& Lorrain, 2002; Handler W. C., 1994). Ainsi, la transmission est
opérée lorsque chacun des acteurs (prédécesseur, successeur, conseillers, etc.)
a convenablement rempli sa mission. Pour y arriver, la littérature sur les
études des cas sur la succession montre qu’une fois la nature de la succession
est bien identifiée, il revient maintenant de bien la (la succession) planifier avant d’entamer son processus.
a)
Planifier la succession
La planification de la succession est
une étape préliminaire mais très importante pour la réussite de la transmission
d’entreprise (Mouline, 2000). Les travaux
préliminaires à la succession concernent la préparation du potentiel
successeur. Cette préparation suppose sa connaissance, ses valeurs, celle de
son milieu direct (famille) et indirect (l’environnement). Ainsi, la succession
devient un centre de foisonnement de plusieurs considérations :
culturelles, sociales, psychologique et managériales (Handler W. C., 1994). Cette dynamique de connaître le potentiel
successeur s’insère dans un cadre aussi dynamique comportant quatre
dimension : dimension individuelle, interpersonnelle, organisationnelle et
environnementale (Handler & Kram, 1988).
Lorsque l’un de ces
quatre variables ne prête pas à la planification de la succession, elle en
constitue une résistance. Ceci est autant vrai que ces facteurs rendent
l’analyse de la succession systémique (Fayolle,
2004), dont le rôle des facteurs (dimensions) devient crucial.
Tableau 3: Présentation des quatre facteurs de la
planification de la succession selon Handler et Kram (1988) repris par Hamrouni
et Mnasser (2009).
Facteurs
d’ordre individuel
|
- Le déni
de la mort ou le désir d'immortalité
- La peur
de perdre son identité
- Le refus
de se défaire de l'organisation qui représente une extension de soi-même
- La peur
de vieillir
- Le refus
de perdre le pouvoir et le contrôle
- La peur
que le successeur rejette ce qui a été accompli.
- La peur
de l’inactivité
|
Facteurs
d’ordre interpersonnel
|
- Un souci
d'équité pour chacun des enfants
- Une
crainte de l'apparition de conflits familiaux
- Volonté
de ne pas donner l'impression d'être avide de pouvoir et d'argent
- La peur
de la mort des parents
|
Facteurs
d’ordre organisationnel
|
- La
difficulté à aborder ce sujet avec le dirigeant
- Le refus
de mettre fin aux relations personnelles avec le fondateur
- La prise
de conscience qu'eux-mêmes vieillissent
- La peur
des changements qui peuvent survenir au niveau de la gestion de
l'organisation
|
Facteurs
d’ordre environnemental
|
- Dépendance
des clients et des fournisseurs envers le fondateur
- Valeurs
culturelles ne favorisant pas la planification de la relève
|
Source : (Hamrouni & Mnasser, 2009)
Ce
qui rend complexe la planification de la succession et qui augmente sa
délicatesse est le fait que plusieurs constituants de ces facteurs présentés au
tableau 3 relèvent du domaine affectif et émotif, sensé subjectif et difficile
à analyser objectivement (Cadieux & Lorrain,
2002). Le « planificateur » de la succession doit alors
étudier la personne dans toute sa
dimension, la qualité des relations qui régissent les différents membres de la
famille, les attentes des prédécesseurs
et des successeurs, la vision du fondateur à la création de son entreprise, le
type de relation entretenue par le personnel et les dirigeants, le degré
d’attachement de la famille à l’entreprise, etc.
(Handler & Kram, 1988). Il
doit aussi bien étudier le portefeuille et le degré de fidélisation de la
clientèle détenue par le prédécesseur. De même, les valeurs culturelles sont
très importantes dans les analyses de la succession, qu’elle soit
entrepreneuriale ou autres. Dans certaines régions du monde, la culture exclue
les filles/femmes à la succession de la direction d’entreprise, en dépit des
compétences dont elles peuvent faire preuve (Contantinidis
& Santin, 2008).
Tous
ces éléments qui chevauchent les uns sur les autres expliquent le ralentissement
que peut connaitre l’amorce de la succession en tant que processus.
b)
La succession : un processus
Lorsqu’elle
est bien planifiée, la succession devient un processus à conduire d’une manière
méthodique. Pour plusieurs auteurs, la succession est un processus et
d’ailleurs c’est cet aspect des choses qui est le plus exploité par la recherche
sur la succession (Handler & Kram, 1988;
Handler W. C., 1994; Cadieux & Brouard, 2006; Bayad & Barbot, 2002;
Borges & De Lima, 2010; Van Caillie, Santin, Crutzen, & Kabwigiri,
2006; Barbot & Richomme-Huet, 2000; Hugron & Dumas, 1993). Toutes
ces recherches attestent que la succession d’entreprise est un processus à
quatre étapes, considérées tant du point de vue du prédécesseur que du
successeur.
Pour
Handler (1994), l’évolution du prédécesseur et celui du successeur est un processus
chevauchant, dont les comportements des acteurs s’influencent mutuellement. En
ce qui concerne le prédécesseur, il commence comme opérateur solitaire, il
évolue comme un monarque, devient un délégateur ou un contremaître et finit
comme un consultant. Le successeur lui est au départ un monsieur/une dame
lambda pour l’entreprise, sans rôle du tout. Il devient par la suite un second,
puis un manager et enfin un leader décideur.
Cadieux et Lorrain (2002) reprennent le modèle proposé
par Hugron et Dumas (1993). Ce dernier comporte quatre étapes du processus de transmission,
selon que celle-ci concerne le patrimoine ou la gestion de la firme familiale.
Pour le transfert de la gestion, il s’agit de l’incubation, du choix, du
règne-conjoint et du désengagement alors que pour celui de
la propriété, il est question de l’amorce de la décision, de la décision en
elle-même, de la consultation auprès d’experts et de la finalisation. Ce modèle
peut être rapproché de celui proposé par Borges et Lima (2010). Le rapprochement
que l’on peut faire de ces deux propositions telles que présentées à la figure
2
ci-dessous paraît capital pour la singularisation de la succession en
entrepreneuriat familial. En effet, toute démarche successorale commence par la
prise de conscience de la nécessité de transmettre l’entreprise à une autre
génération ou à un nouvel acquéreur. Cette nécessité est expliquée par
plusieurs raisons (Lin, 2006), dont la
plus courante est le souci de pérennisation du patrimoine familial (Cadieux & Brouard, 2006). Cette prise de conscience est suivi par
l’initiation du potentiel successeur à des différents postes de l’entreprise,
afin qu’il se révèle crédible à acquérir l’entreprise. Cette intégration au
sein de l’entreprise le rend apte à codiriger la firme et le successeur occupe
un poste de cadre pour enfin occuper la direction générale après le
désengagement du prédécesseur.
Ces
deux modèles montrent que le successeur subit, au cours du processus
successoral, une phase d’initiation, d’intégration, de règne conjoint et
de finalisation marquant le retrait du prédécesseur (Cadieux & Lorrain, 2002; Barbot & Richomme-Huet, 2000).
Mis
ensemble, la planification et le processus de succession deviennent un
phénomène systémique, capital pour la survie de l’entreprise. En effet, les
valeurs individuelles, interpersonnelles, organisationnelles et
environnementales sont rencontrées et évaluées au cours du processus de la
succession. Celle-ci n’est plus linéaire, mais évolutive par une dynamique
d’apprentissage et de responsabilisation du successeur. Sa réussite dépend tant
de l’appréhension des éléments du système par les acteurs de la transmission
que du niveau d’implication de ceux-ci.
Le
cadre théorique ainsi analysé et présenté par la figure
1
est un phénomène évolutif au sein de l’entreprise. Les deux phases, à savoir l’identification de la nature de la
succession et son opérationnalisation, se présentent comme des étapes
interdépendantes et indispensables à l’accomplissement de la succession.
4.
Conclusion
La
succession en entrepreneuriat familial est un champ de recherches en évolution.
Plusieurs faits susceptibles d’influencer le management et la performance des
entreprises familiales y sont attachés. Cette réalité est d’autant plus
importante pour les entreprises familiales que leur rôle au sein des économies
dans les différentes nations du globe. Etudier les entreprises familiales et offrir
une trousse d’outils pour leur performance et leur survie devient un devoir
immense pour le scientifique de gestion.
Les
recherches menées jusqu’ici en succession des entreprises familiales ont permis
d’établir plusieurs connaissances au point d’en fixer quelques repères pour les
conseillers en transmission, les prédécesseurs et les potentiels successeurs,
en vue de son bon déroulement. La revue
de la littérature consultée à ce niveau a montré qu’il soit nécessaire de
proposer un cadre théorique à l’étude de cette succession, avec les
connaissances ainsi produites dans le domaine de la succession. Ce cadre
théorique propose que l’analyse de la succession connaisse deux phases
majeures : celle de l’identification de la nature de la succession et
celle de l’opérationnalisation de la succession elle-même. Cette dernière
comprenant la planification et la reconnaissance de la succession en tant que
processus.
Théorique
et émanant d’une revue de la littérature, ce modèle est appelé à être confronté
sur terrain, pour sa validation empirique.
BIBLIOGRAPHIE
1. Barbot,
M.-C., & Richomme-Huet, K. (2000). Le contexte successoral des PME
familialn processus entrepreneurial? Consulté le Janivier
7, 2014, sur HEC-Canada.
2. Bayad, M., & Barbot, M.-C. (2002). Proposition d'un
modèle de succession dans les PME familiales: étude de cas exploratoire de la
relation père-fille. 6ème Congrès International francophone sur la PME.
Montréal: HEC.
3. Borges, F.
A., & De Lima, J. B. (2010). Proposition d'un modèle de succession
entrepreneuriale en entreprises familiales: une étude de cas. CIFEPME,
(pp. 1-16). Toronto.
4. Cadieux,
L., & Brouard, F. (2006). La Transmission des entreprises familiales et le
rôle des différents conseillers. Journées Georges Doriot. Deauville.
5. Cadieux,
L., & Lorrain, J. (2002). Le processus de la succession dans les
entreprises familiales :une problématique comportant des défis estimables pour
les chercheurs. 6° Congrès international francophone sur la PME.
Montréal: HEC.
6. Cadieux,
L., Lorrain, J., & Hugron, P. (2000). La succession dans les entreprises
familiales :une étude de cas exploratoire auprès de quatre PME manufacturières
fondées et dirigées par des femmes. 5ème Congrès International Francophone
sur la PME,. Lille.
7. Cadieux,
L., Lorrain, J., & Hugron, P. (2002). La succession dans les entreprises
familiales gérées par les femmes : une problématique en quête de chercheurs. Revue
internationale de la PME, 15(1), pp. 115-130.
8. Charlier,
P., & Lambert, G. (2008). Entrepreneuriat Familial en Europe et Stratégies
de Gouvernance: Une perspective positive des théories de l'Agence. Journée
de recherche entreprenuriat et Stratégie (pp. 1-19). Bordeaux: Laboratoire
CESAC.
9. Colot, O.
(2006)). Profil du repreneur et performance de l'entreprise familiale. . Les
Journées Georges Doriot. Deauville, Paris: Hec Paris, Ecole de management
de la Normandie.
10.
Constantinidis, C. (2002). Les femmes entrepreneures et la
transmission d’entreprise. Les journées George Doriot. Deauville: Ecole
de Management Normandie;Hec Paris.
11.
Contantinidis, C., & Santin, S. (2008). La reprise
d’entreprise familiale par les filles d’entrepreneur :une lecture en termes de
genre. 2ème Journée Georges Doriot. Paris: Ecole de Management
Normandie; HEC Paris.
12.
Fayolle, A. (2004). Entrepreneuriat et processus: faire du
processus un objet de receherche et mieux prendre en compte la dimension
processus dans les recherches. Congrès International Francophone en
Entrepreneuriat et PME,. Montréal, Canada, 7.
13.
Hamrouni, D. A., & Mnasser, K. (2009). Les facteurs à
l'origine de la réussite de la succession des entreprises familiales:Cas des
entreprises tunisiennes ayant réussi leur transfert générationnel de la
deuxième à la troisième génération. Consulté le 2014, sur Association
Internationale de Management Stratégique:
http://www.strategie-aims.com/events/conferences/3-xviiieme-conference-de-l-aims/communications/224
14.
Handler, W. C. (1994). Succession
in Family Business: A Review of the Research. Consulté le
Janvier 4, 2014, sur Sage Publications: http://fbr.sagepub.com/cgi/content/refs/7/2/133
15.
Handler, W.-C., & Kram, K.-E.
(1988). Succession in Family Firms: The Problem of Resistance. Family
Business Review, 361-381.
16.
Hugron, P., & Dumas, C. (1993). Modélisation du
processus de succession des entreprises familiales québécoises. Récupéré
sur RefDoc: http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=51793
17.
Kamei, K. (2006). Gestion des risques liés au management par
la deuxième génération. Cadre théorique et cas du Japon. 1ères journées
Georges Doriot. Deauville: Ecole de Management de Normandie;Hec Paris.
18.
KAMEI, K. (2006). Gestion des risques liés au management par
ma deuxième génération: cadre théorique et cas au japon. 1ères Journées
George Doriot –. Deauville: Ecole de Management Normandie; HEC Paris.
19.
Levy-Tadjine, T., & Paturel, R. (2008). Entrepreneuriat
Familial: Action à plusieurs ou action commune. Journée Georges Doriot.
Paris: HEC.
20.
Lin, Y. (2006). Entrepreneuriat familial et succession:
Enquête dans la province du Zhejiang. Consulté le Novembre 09, 2013, sur
Perspectives Chinoises: http://perspectiveschinoises.revues.org/980
21.
Maque, I. (2008). L'entrepreneuriat familial: Transmision et
gestion des relations bancaires. Exemples de deux PME Françaises. . 2ème
journée Georges Doriot. Paris: HEC Paris, Ecole de Management
''Normandie''.
22.
Mouline, J. (2000). Dynamique de la succession managériale
dans la PME familiale non cotée. , Finance Contrôle Stratégie, 197-222.
23.
Neubauer, F., & Lank, A. G. (1998). The Family Business: Its Governance for Sustainability. . Routlegde.
24.
Ramanantsoa, B., Riot, E., & Krieger, E. (2006). Le
dilemme du repreneuriat ou les structures élémentaires de la parenté. 1ères
Journées George Doriot. Deauville: Ecole de Management Normandie; HEC
Paris.
25.
Shane, S., & Venkataraman, S.
(2000). The promise of entrepreneurship as a field of research. The Academy
of Management Review (25), 217-226.
26.
Sharma, P. (2004). An overview of the
field of family business studies : current status and directions for the
future. Family Business Review, 17 (1), 1-36.
27.
Van Caillie, D., Santin, S., Crutzen, N., & Kabwigiri, C.
(2006). L’analyse équilibrée des symptômes de déséquilibre de la PME à
reprendre, facteur-clé du succès du processus de reprise : légitimation
théorique et première validation empirique. 1ères Journées George Doriot –
16 & 17 mars - . Deauville: Ecole de Management Normandie; Hec PAris.
28.
Van Callie, D., Santin, S., Crutzen, N., & Kabwigiri, C.
(2006). L'analyse équilibrée des symptômes de déséquilibre de la PME à
reprendre, facteur-clé de succès du processus de reprise: légitimation
théorique et première validation empirique. 1ères journée Georges Doriot.
Deauville: Ecole de Management Normandie; Hec Paris.
29.
Verstraete, T., & Saporta, B. (2006). Creation
d'entreprise et Entrepreneuriat. Récupéré sur ADREG: www.adreg.net
Crispin ENAGOGO AGADUSAMESO
Master en Entrepreneuriat
Téléphone : +49 1517 1341 91
Crissleduc@gmail.com